Pèlerinage vocal à Bonmont
Florence Gaillard
Anne-Marie Deschamps a pour habitude d’adapter ses programmes aux lieux. Son ensemble Venance Fortunat, qui fut dès 1975 le premier groupe de musique médiévale, chante «clunysien» ou «cistercien» selon les occasions architecturales et dogmatiques. Les lignes épurées de l’abbaye cistercienne de Bonmont, au pied du Jura, se prêtaient dimanche à la louange exaltée des moniales compositrices.
Comme les Éloïse, Catherine de Sienne et Thérèse d’Avila qui ont inquiété le clergé par leur foi sensualiste, certaines voix troublaient: trop mystiques pour être pures, trop ardentes pour être spirituelles. Les cinq solistes de Venance Fortunat, deux altos extraordinaires et trois sopranos, se sont chargées de rendre leur actualité aux œuvres de ces musiciennes extasiées, esprits baroques de l’époque romane, qui ont donné chair à la prière. Travaillant sur les volumes et les directions, les voix déambulent lentement dans les bas-côtés, orientent les monodies, jonglent avec les échos. Elles déclinent ces neumes dont elles ont retrouvé la dynamique naturelle, celle du texte. Le rythme s’ajoute à la polyphonie avec une composition énergique d’Hildegarde de Bingen, la Sybille du Rhin; le parcours s’achève au XIVe siècle, sur les pas des moniales espagnoles. Venance Fortunat, malgré quelques forte abusifs, a convaincu par sa perfection vocale et son dépouillement habité.